Le droit au compte bancaire

Le droit au compte bancaire

 Analyser le droit au compte revient à tenter de répondre à la question essentielle de savoir si un banquier a la liberté de refuser à un client éventuel d’ouvrir un compte dans son établissement (I) ou encore s’il a la liberté de restreindre à un client les avantages liés à un compte bancaire (II).

Toutefois, avant de nous engager dans cette étude, il convient de déterminer la théorie traditionnelle du compte bancaire.

 

En effet, avant que n’apparaisse la doctrine attachée au droit au compte, il est nécessaire de rappeler sur quelle base est établie l’ouverture classique d’un compte bancaire.

Les dispositions traditionnelles en droit positif français définissent le contrat d’ouverture de compte comme l’établissement d’une relation entre une banque et un client. Plus qu’une opération matérielle, il s’agit d’une convention cadre qui régit les relations banque-client[1]. De nombreuses clauses peuvent néanmoins être établies par les acteurs pour réglementer la tenue du compte. La rédaction de ce contrat implique donc une rencontre formelle des consentements. En outre, les règles relatives aux contrats de droit commun trouvent ici leur pleine application. Ainsi, les conditions de consentement, de capacité doivent être remplies. En vertu de ces principes, une personne physique ou morale est libre de choisir l’établissement bancaire de son choix.

Concernant les personnes physiques, dotée de la personnalité juridique, toute personne peut librement ouvrir un compte bancaire à condition de ne pas se heurter notamment aux conditions de capacité. Selon les modes de représentations adoptés, la personne majeure incapable, si un compte lui est personnellement attribué, devra se faire représenter par son tuteur ou son curateur si le régime de curatelle le prévoit. De même, pour un mineur non émancipé, le compte est en principe ouvert à son nom mais fonctionne sous la signature du représentant légal. Toutefois, malgré l’absence de représentation, les banques admettent de plus en plus comme clients des mineurs non émancipés sans soumettre la tenue du compte à un représentant légal. La question ne se pose pas en ces termes pour les mineurs émancipés dont le régime de capacité est calqué sur celui des majeurs capables.

Concernant les personnes morales, il convient de se reporter aux règles de représentation applicables pour chacune des formes de société. Pour une société étrangère, le droit au compte reste soumis à la reconnaissance de leur capacité juridique sur le territoire national. Dans le cas plus particulier des sociétés de fait ou des sociétés en participation, qui sont dépourvues de personnalité morale, il n’existe pas de droit au compte. Pour les sociétés en cours de formation, outre les mesures de reprise à préciser éventuellement, il conviendra aux associés d’apporter postérieurement la preuve de l’immatriculation (Kbis) au banquier.

 

En principe, toute personne est libre d’ouvrir un compte bancaire en France. Parallèlement, il n’existe en principe aucune obligation d’avoir un compte en banque. Toutefois, dans la pratique, l’ouverture d’un compte est souvent plus que nécessaire. Ainsi, de nos jours, de nombreux salaires sont versés par des entreprises par virement bancaire ou par chèque barré. Or, seul un établissement bancaire peut admettre cette opération. Par ailleurs, selon l’article 6 de la loi du 22 octobre 1940 obligation est faite à tout commerçant tenu à l’obligation d’enregistrement au registre du commerce et des sociétés de se faire ouvrir un compte. Une amende fiscale est même prévue si cette procédure devait ne pas être effectuée.

Aussi, toute personne a désormais besoin d’un compte dans la vie courante ; c’est pourquoi il est nécessaire d’apprécier la réalité de l’existence d’un droit au compte.

 

 

  1. Le principe du droit au compte

 

Un banquier peut-il légitimement refuser d’ouvrir un compte à un éventuel client ?

 

Cette possibilité a été vivement discutée.

Il est généralement admis qu’un banquier peut toujours librement refuser un crédit. Le banquier n’est d’ailleurs pas tenu de justifier son refus. En outre, il s’agit véritablement d’un contrat de droit personnel avec un très fort intuitu personae. Il a même été jugé qu’un banquier pouvait soumettre l’obtention d’un crédit au profit de l’un de ses clients à la condition exprès que celui-ci s’engage à conserver son compte dans son agence[2]. En revanche, le banquier est tenu par la promesse de crédit qu’il a émis. Sa responsabilité, en cas de refus postérieur, peut être engagée.

 

Concernant l’ouverture d’un compte bancaire, la réponse était auparavant moins tranchée.

En effet, en vertu de l’ordonnance du 30 juin 1945, le refus du banquier pouvait être assimilé à un refus de vente ou de prestation de services. La jurisprudence l’a ainsi reconnu[3]. Cependant, cette prise de position n’a pas toujours convaincu la doctrine. En effet, pour certains auteurs, la banque n’est pas un service public. A ce titre, le banquier ne peut être obligé d’ouvrir un compte à un client potentiel. Ces auteurs ont voulu consacrer la liberté du banquier en arguant du fait que ce dernier, à travers la publicité ou par un autre moyen, ne faisait pas une offre mais une invitation aux pourparlers. C’est le client qui fait une offre en désirant ouvrir un compte auprès d’un établissement bancaire. Le contrat conserverait alors un caractère intuitu personae.

 

La loi du 24 janvier 1984 est venue préciser l’intention du législateur. L’article 89 de la loi bancaire de 1984 soustrait les banques à l’application de l’article 30 de l’ordonnance de 1945 sur le refus de vente et de prestation de services. Ainsi, le banquier est libre de refuser l’ouverture d’un compte[4]. En contrepartie, il a l’obligation de justifier sa décision de refus notamment quant à la délivrance de chéquiers.

A côté de cette affirmation, l’article 58 de cette même loi créait véritablement un droit au compte. Principe à portée générale, il n’était pas opposable directement aux établissements bancaires. Seule la Banque de France pouvait l’invoquer.

Une personne qui s’était vu refuser à deux reprises l’ouverture d’un compte pouvait s’adresser à la Banque de France qui désignait alors un établissement de crédit ou l’une des institutions mentionnées par l’article 8 lequel était contraint d’accueillir l’indésirable.

La loi consacrait ainsi un service de base bancaire qui n’incluait que l’ouverture du compte. La loi ne pouvait forcer le banquier à délivrer un chéquier ou un autre mode de paiement. Seul était garanti un service de caisse minimum qui déjà restreignit la liberté contractuelle du banquier. Cette contrainte du banquier est considérée comme un contrat forcé ou contrat imposé marquant, pour les plus libéraux, le recul certain de l’autonomie de la volonté des parties. « Le législateur avait atteint la liberté contractuelle dans ce qu’elle a de plus essentiel à savoir le droit de ne pas contracter »[5].

Assez lourde, la procédure de l’article 58 de la loi du 24 janvier n’était que rarement utilisée alors que pourtant beaucoup de personnes restaient totalement exclues du système bancaire. C’est, en grande partie, ce constat qui explique les retouches opérées par l’article 137 de la loi d’orientation n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions[6].

 

La finalité de droit au compte n’est désormais plus la même dans la loi nouvelle. Ce droit ne doit plus être conçu comme le moyen de concilier la liberté du banquier et un moyen nécessaire mais comme une nouvelle technique de lutte contre l’exclusion portée au rang de droit fondamental. L’objectif affirmé par cette loi est effectivement, selon le législateur, de garantir à tous « un accès effectif… aux droits fondamentaux ». Placé sous le signe du droit à la dignité, le texte rappelle tout d’abord bon nombre de droits fondamentaux (droit à l’emploi, droit au logement…)

L’article 137 de la loi s’insère justement dans le chapitre IV consacré aux moyens d’existence. Il en ressort que le compte en banque est désormais considéré par le législateur comme nécessaire à l’existence des personnes et protégé en tant que tel. Depuis plusieurs années, le législateur avait abandonné le principe d’assistance matérielle aux plus démunis (don de denrées, vêtements…) pour apporter une aide financière sous la forme de prestations sociales (RMI, allocations diverses…). Or cette politique implique la possession d’un compte bancaire car les versements d’argent se font le plus souvent par virement ou remise de chèque.

Cependant, la nouvelle rédaction du droit au compte n’allège que quelque peu la procédure d’accès. La personne candidate au compte n’est plus tenue de se heurter à deux refus au moins, un seul suffit, celui de l’établissement « de son choix ». Au-delà, le système reste identique. Il repose toujours sur deux étapes, le requête auprès de la Banque de France et la désignation de l’établissement « obligé ».

Toutefois, la loi de 1998 inclut le maintient au compte. Cette mesure met à l’abri le client devenu indésirable en ôtant au banquier la possibilité de résilier le contrat imposé unilatéralement. La jurisprudence veut que la clôture du compte se fasse « dans des conditions telles qu’elle ne cause pas au client une gêne excessive »[7]. Une décision motivée est donc requise et ce d’autant plus quand le client a été imposé selon la procédure de l’article 54 de la loi de 1984. La banque a alors l’obligation d’informer de sa décision le client et la Banque de France par « une notification écrite et motivée » et doit en outre consentir au client « un délai minimum de quarante cinq jours ».

Notons que si la loi de 1998 ne concerne que les personnes physiques, une loi du 25 juin 1999 a réintroduit le droit au compte concernant les personnes morales.

 

Aussi, il n’existe plus de réelle possibilité de refus offerte au banquier d’autant plus que la Banque de France, depuis 1984, peut l’obliger à ouvrir un compte sans son consentement. Depuis peu, la liberté contractuelle est également malmenée s’agissant le contenu du contrat d’ouverture de compte à savoir les services que la banque doit à son client non désiré.

 

 2. L’accès à un service bancaire de base

 

Sur le principe d’un service bancaire minimum, il est évident que le législateur de 1998 a voulu aller plus loin que son prédécesseur de 1984 en étendant le droit au compte aux services bancaires de base.

La loi de 1984 permettait en effet au banquier contraint par la Banque de France d’ouvrir un compte de dépôt à un client indésirable de « limiter les services liés à l’ouverture de ce compte aux opérations de caisse ». Désormais, le nouveau texte prévoit que « les établissements de crédit, les services financiers de La Poste ou du Trésor Public ne pourront limiter les services liés à l’ouverture d’un compte de dépôt aux services bancaires de base que dans des conditions fixées par décret ».

 

Posant ce principe, lorsque l’établissement est tenu à l’ouverture d’un compte, le banquier ne peut pas non plus en négocier le contenu. Il ne peut en limiter l’usage au seul dépôt ; il doit conférer des avantages forcés. Désormais, on ne parle plus seulement de droit au compte mais de droit aux avantages du compte.

 

Récemment, le gouvernement a rédigé le décret visé à l’article 137 de la loi de 1998. Le décret n° 2001-45 du 17 janvier 2001 précise que les services bancaires de base comprennent :

–       l’ouverture, la tenue et la clôture du compte ;

–       un changement d’adresse par an ;

–       la délivrance à la demande de relevés d’identité bancaire ou postale ;

–       la domiciliation de virements bancaires ou postaux ;

–       l’envoi mensuel d’un relevé des opérations effectuées sur le compte ;

–       la réalisation des opérations de caisse ;

–       l’encaissement de chèques et de virements bancaires ou postaux ;

–       les dépôts et les retraits d’espèces au guichet de l’organisme teneur de compte ;

–       les paiements par prélèvement, titre interbancaire de paiement ou virement bancaire ou postal ;

–       des moyens de consultation à distance du solde du compte ;

–       une carte de paiement à autorisation systématique, si l’établissement de crédit est en mesure de la délivrer, ou, à défaut, une carte de retrait autorisant des retraits hebdomadaires sur les distributeurs de billets de l’établissement de crédit ;

–       deux formules de chèques de banque par mois ou moyens de paiement équivalents offrant les mêmes services.

 

Ainsi, le décret du 17 janvier 2001 définit précisément les services de base attachés au droit au compte. Ces mesures ont force obligatoire et chaque établissement doit les conférer à ses clients imposés. On remarquera que certains de ces services dits « de base » peuvent outrepasser ceux qui sont conférés à certains clients agréés.

Désormais, le contenu même du contrat n’est plus laissé à l’appréciation des parties.

 

Avec ce décret il apparaît clairement qu’il n’existe plus de droit abstrait de droit au compte mais réellement un droit à un compte. Comme le droit au travail ne garantit pas l’obtention d’un emploi, le droit au compte, s’il impliquait l’ouverture d’un compte n’en garantissait pas le contenu. Désormais il existe un véritable droit à un compte, droit réellement concret. Le banquier n’est plus libre de restreindre les services qu’il voudrait offrir à son client.

 

 

 



[1] GAVALDA (Christian) et STOUFFLET (Jean), Droit bancaire, Litec,

[2] Dalloz 1977, jurisp 494, note STOUFFLET : la clause de fidélité est licite pour l’obtention d’un crédit.

[3] Tribunal de la Seine, 27 juin 1960. Voir également « les refus du banquier » par Christian GAVALDA, JCP 1962 I 1727.

[4] Confirmé par la jurisprudence : Cass.1ère Civ. 11octobre 1994, Caisse de Crédit agricole mutuel du Sud-Est contre époux Bel. Bulletin Civil I n°289.

[5] HUGON (Christine), Le droit au compte, Mélanges Michel Cabrillac, 1999, p.483.

[6] STOUFFLET (Jean), Un élargissement du droit aux services bancaires : la refonte de l’article 58 de la loi du 24 janvier 1984, RD bancaire et bourse, n°69, septembre-octobre 1998, p.153.

[7] STOUFFLET (Jean), Les comptes ordinaires de dépôt, JCP Banque et crédit, fasc.200, n°168.