LE DROIT DE PROPRIETE

LE DROIT DE PROPRIETE

En son temps, Proudhon affirmait sur un ton péremptoire : « la propriété, c’est le vol ! ».

Ce à quoi répondait un académicien qui n’hésitât pas à défendre ses idées à la pointe de son épée, Charles Maurras : « la première des libertés est la sécurité des biens et des personnes ».

Voici deux conceptions de la propriété nées au XIX° siècle qui s’affrontent et qui ont particulièrement marqué les idéologies du XX° siècle.

En effet, face à une propriété collective de type socialiste marxiste apparaît le concept de propriété individuelle basée sur le modèle libéral.

Rappelons que sous l’Ancien Régime, durant la dynastie des Capétiens, lors de l’extension de la France, le domaine royal s’est confondu avec le territoire national. La propriété immobilière était donc uniquement de source royale. Le roi conférait des droits sur ses terres à des vassaux qui pouvaient à leur tour déléguer ce pouvoir à d’autres vassaux. La propriété était donc consentie par voie de contrat. Petit à petit ces droits sont devenus exclusifs et immuables;  ainsi de nombreux seigneurs et de nombreux paysans purent accéder à la propriété immobilière. La propriété mobilière a de tout temps été reconnue.

Durant la révolution française, le législateur a opté pour la version libérale du droit de propriété, à savoir la propriété individuelle.

Ainsi, les élus de 1789 ont affirmé à deux reprises dans leur déclaration la prééminence du droit de propriété, droit naturel et imprescriptible. En son article 2, la déclaration entend faire respecter : « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »

A l’instar, l’article 17 de cet acte déterminant et majeur énonce :

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

 

Il s’agit donc réellement d’une liberté fondamentale émanant d’un acte constitutionnel. En 1970, le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle de la Déclaration du Droit de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789 en l’intégrant dans le bloc de constitutionnalité du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.

En 1804, le Code Napoléon consacre cette même conception pour en faire également une liberté publique.

Aussi, convient-il de cerner le principe du droit de propriété et les garanties accordées (I) pour en définir les atteintes (II).

 

 

I.     LE PRINCIPE DU DROIT DE PROPRIETE ET SES GARANTIES

 

1. Les reconnaissances nationales et internationales du droit de propriété

 La reconnaissance constitutionnelle :

Ce principe, comme nous l’avons vu plus haut, est consacré par les articles 2 et 17 de la DDHC de 1789. Cette déclaration a été proclamée de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel.

A cette occasion, le juge suprême de la loi a rappelé que :

 « Les principes énoncés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété, dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique. »

Par ailleurs, dans une célèbre décision du 16 janvier 1982 relative aux lois de nationalisation, le même Conseil constitutionnel affirmait en outre que le droit de propriété était lié, en l’occurrence, à la liberté d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel admet de surcroît que le droit de propriété est un « droit naturel de l’homme ».

La reconnaissance internationale :

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en son article 17, affirme pour sa part :

« Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. »

La définition est rédigée dans un style vague.

En effet, si dans ce texte, la propriété est consacrée, la distinction est faite entre la propriété collective et la propriété individuelle sans pour autant se déterminer pour l’un des deux modes. Rappelons que cette déclaration mondiale remonte à 1948, date à laquelle le conflit politique d’ordre idéologique n’est pas encore déclaré entre le « monde libre » et le « monde soviétique » d’inspiration marxiste.

Cette déclaration n’est pas applicable en France pour n’avoir pas respecté les procédures de transposition.

A l’échelon européen, l’Europe adopte le 4 novembre 1950 la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui énonce en son article 1er du protocole additionnel n°1 :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent des Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou amendes »

Cette intention a été ratifiée et appliquée en 1974 par la France.

La Cour Européenne de Droits de l’Homme (CJCE) estime que le droit de propriété est « garanti dans l’ordre juridique communautaire conformément aux conceptions communes aux Constitutions des Etats membres. »

 

2. Les caractères du droit de propriété :

Le contenu du droit de propriété :

Il concerne l’homme dans sa relation avec les biens.

En tant que forme suprême d’exercice du pouvoir de l’homme sur une chose, quelle que soit l’étroitesse du cercle dans lequel il s’exerce, le droit de propriété individuelle reste un atout fondamental de la liberté.

En régime marxiste, le droit de propriété perdure sous la forme collective. Il reste ainsi un droit fondamental et une liberté inaltérable.

Le droit de propriété est un droit réel conféré à toutes les personnes, qu’elles soient physiques ou morales, parmi lesquelles l’Etat et ses démembrements.

Aussi, il existe un régime de droit public pour le domaine public (l’Etat se voit attribuer des droits importants basés notamment sur le principe de « maîtrise »), et un régime privé régissant les droits octroyés aux personnes physiques ou morales de droit privé.

Ce régime privé peut concerner différents droits :

–                  La propriété immobilière : elle est définie à l’article 552 du Code civil :

 

« La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. »

 

Ce principe souffre néanmoins des exceptions d’ordre légal. Par exemple il existe un régime particulier pour l’exploitation minière du sous-sol ; de même, la propriété du dessus peut être contrainte par des règles d’urbanisme.

 

–                  La propriété mobilière : elle porte sur les meubles proprement dits mais aussi sur les titres de sociétés (d’où le problème apparu lors des nationalisations de sociétés privées).

 

–                  Les propriétés spéciales : elles comprennent notamment la propriété littéraire et artistique et la propriété industrielle (brevets, dessins et modèles, marques).

 

Par ailleurs, l’article 544 du Code civil dispose :

« La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements. »

Ainsi, tel que le définit l’article 544, le droit de propriété se décompose en trois attributs : l’usus (le droit d’user de la chose), le fructus (le droit de percevoir les produits de la chose) et l’abusus (le droit de disposer de la chose).

Les garanties accordées au droit de propriété :

–                  Les garanties face aux particuliers :

Le Code civil et le Code de procédure civile prévoient de nombreuses garanties conférées aux personnes physiques. Ainsi, en cas d’empiétements sur le terrain d’autrui, le juge peut condamner l’intrus à la destruction. Il peut également y avoir intégration au fonds de la personne lésée.

Le propriétaire, en cas d’éviction par un tiers dispose de la faculté d’agir au pétitoire pour recouvrer sa pleine propriété.

Les procédures d’acquisition immobilières sont strictes. Les règles de prescription acquisitive le sont plus encore. 

–                  Les garanties face à la puissance publique :

Lors des nationalisations de 1982, le Conseil constitutionnel fut appelé à reconnaître à ces garanties une « pleine valeur constitutionnelle » (décision du 16 janvier 1982). 

* Les garanties procédurales :

Toute atteinte au droit de propriété par la puissance publique doit répondre à une nécessité « légalement constatée » (application stricte de l’article 17 de la DDHC de 1789).

Donc le Conseil constitutionnel exige une loi préalablement à l’éviction d’un particulier. Autrement, le juge administratif constatera une voie de fait condamnable.

* L’indemnisation :

En cas de nationalisation ou d’expropriation, l’article 17 précité précise qu’il convient de verser une juste et préalable indemnité. Le Conseil constitutionnel est appelé à en vérifier le caractère « juste ».

En cas de simple atteinte, malgré des cas particuliers, aucune indemnisation n’est prévue.

 

 

II.   LES LIMITES ADMISES AU DROIT DE PROPRIETE

 

Le droit de propriété individuelle souffre en effet des exceptions.

Si ce droit est reconnu comme une liberté fondamentale en droit positif français, il n’est pas un droit général et absolu car il peut y être porté atteinte par la collectivité.

Selon les termes de l’article 544 du Code civil, de nombreuses lois sont admises en limitation du droit de propriété, notamment en matière d’urbanisme.

Le Conseil constitutionnel se contente alors de veiller à ce que ces limitations ne violent pas le droit de propriété tel que défini à l’article 17 de la DDHC du 26 août 1789.

 

1. Les limites en matière d’expropriation

Les expropriations doivent impérativement être justifiées, c’est-à-dire qu’elles doivent correspondre à une nécessité publique, légalement constatée (article 17 DDHC).

Dès 1804, le Code civil avait ainsi envisagé l’expropriation. En effet, l’article 545 autorise l’expropriation « pour cause d’utilité publique » et non plus de « nécessité publique » pourtant visée par la DDHC.

Le juge administratif est appelé à se pencher sur la déclaration d’utilité publique (DUP), en cas d’annulation, pour pallier l’abus de la puissance publique, l’article L. 12-5 du Code de l’expropriation prévoit : 

« Tout exproprié peut faire constater par le juge de l’expropriation que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale. »

Il existe cependant des cas particuliers sans nécessité de recourir à l’expropriation et dont les effets sont sensiblement identiques sans pour autant indemniser le propriétaire lésé : remembrement, servitude administrative, incorporation au domaine public, réquisition, règles d’urbanisme…

 

2. Les limites en matière de nationalisations

 

Le préambule de la Constitution de 1946 énonce :

« Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité. »

Ce texte a ainsi permis d’encadrer la vague importante de nationalisations des années 1945 et 1946, lorsque le Parti Communiste Français faisait partie du Gouvernement Provisoire de la République Française et des gouvernements successifs.

Sur cette même base la gauche, revenue au pouvoir en 1981, espérait en faire autant. Le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy comptait quatre ministres communistes.

L’opposition parlementaire de droite introduisit un recours devant le Conseil constitutionnel pour voir juger illégales les nationalisations de 1981-1982.

Le Conseil constitutionnel a alors rendu cette importante décision du 16 janvier 1982, affirmant :

–   que le droit de propriété est un droit fondamental ;

–  que les nationalisations ne sont pas limitées aux cas prévus dans la préambule de 1946 ;

–  que le législateur doit respecter les principes de la DDHC de 1789.

 

Aussi, sauf erreur manifeste d’appréciation, le Conseil constitutionnel laisse le législateur seul juge de l’intérêt général.

A contrario, le Conseil constitutionnel a déclaré dans sa décision du 25-26 juin 1986 (privatisations) que les services publics fondamentaux inhérents à l’Etat n’étaient pas privatisables.

Désormais, en matière politique le terme de privatisation a disparu. Le gouvernement issu des élections législatives de 1997 pratique les privatisations en les nommant « ouverture du capital ». Cela relève plus d’un combat sémantique que d’une lutte économique.

Force est de conclure que le Conseil constitutionnel est le juge suprême en matière de droit de propriété dont le caractère fondamental a été consacré.

Toutefois, émerge aujourd’hui un « droit au logement ». Il serait intéressant de voir comment le juge va apprécier l’opposition entre le droit de propriété, liberté fondamentale, et le « droit au logement » qui a été déclaré comme objectif de valeur constitutionnel. En effet, jusqu’à présent, l’autorité publique, par voie d’exception pouvait porter atteinte à la propriété publique. Désormais, si le législateur suivait la piste initiée par le Conseil constitutionnel, une personne physique de droit privé pourrait porter atteinte au droit de propriété individuel, et ce malgré les garanties accordées par la DDHC.