LES CRITERES DE RATTACHEMENT GEOGRAPHIQUE D’UN SITE WEB

LES CRITERES DE RATTACHEMENT GEOGRAPHIQUE D’UN SITE WEB

Le site marchand est nécessairement issu d’une entreprise, d’une forme sociale, d’une société. En tant que tel, il a un domicile.

Puisque la société est un sujet de droit, il faut savoir ou l’on peut la trouver ou la retrouver pour les nécessités de la vie juridique1.

Le problème avec Internet est que l’entreprise virtuelle s’avère mondiale. Même mondialisée l’entreprise à un domicile qui permet de la rattacher géographiquement à un pays afin de déterminer la loi qui lui est applicable.

La question essentielle est donc de déterminer la nationalité de la société.

Les critères de rattachement sont donc à envisager au niveau du droit international privé et au niveau du droit français (I). Enfin, il sera nécessaire d’apprécier les critères incidents (II).

La détermination de la nationalité de la société

 

 

I- Détermination de la nationalité par les règles du droit international privé

 

Trois critères de rattachement sont possibles pour essayer de déterminer la nationalité de la société.

Voyons le critère de la personnalité des associés (A), le critère de la loi de constitution de la personne morale(B), le critère du centre de direction de la personne morale (C).

A- La personnalité des associés

On se réfère à la nationalité des individus qui composent la société.

Si les personnes sont de nationalités différentes, on s’attachera à la nationalité du plus grand nombre ou de ceux qui la dirigent, en bref aux personnes qui exercent le contrôle de la personne morale.

Problèmes : Les actions sont disséminées dans un très vaste public, et un très grand nombre d’actionnaires sont eux même des personnes morales.

Les actions changent souvent de mains et il serait malcommode d’admettre que la nationalité de la personne morale puisse changer au gré des transactions.

Associés et société sont des personnalités distinctes : la nationalité de l’un n’influe pas nécessairement sur la nationalité de l’autre.

Ce critère n’est donc pas opportun.

B – La loi de constitution de la personne morale : « L ‘incorporation »

Une personne morale n’existe qu’au regard d’une loi qui lui donne naissance et lui confère sa personnalité.

Le plus souvent la constitution donne lieu à une formalité (publication, immatriculation…) qui désignera ainsi sans discussion possible la nationalité du groupement.

Dans le cas contraire les fondateurs auront été amenés néanmoins à se conformer à une loi donnée de par la forme adoptée. Si tel n’est pas le cas on peut encore raisonner comme en matière de contrat pour déterminer la loi applicable, en recherchant la volonté des parties ou la localisation de la société.

Un critère voisin est celui du siège statutaire qui permet de choisir le pays de rattachement. Le plus souvent les deux se confondent car une société est normalement constituée dans le pays ou est fixé son siège statutaire.

Le principe de l’incorporation se reconnaît du caractère contractuel de la personne morale, de l’expression de l’autonomie de la volonté.

L’inconvénient est le risque de fraude à la loi. Il peut permettre aux fondateurs de placer l’entité sous un régime donné pour échapper aux dispositions impératives du pays auquel elle se rattache en fait le plus étroitement. On peut y remédier par l’exception de fraude ou en appliquant les dispositions les plus impératives de la loi locale aux sociétés étrangères à la manière des lois de police.

C- Le centre de direction de la personne morale : le siège social

Le critère du lieu d’exploitation principal manque de stabilité, ne correspond pas nécessairement au rattachement le plus effectif de la personne morale parce que ne s’y accomplissent que des taches d’exécution alors que l’impulsion vient d’ailleurs.

Le critère du siège social est le lieu ou s’exerce la direction effective de la personne morale, celui où réside ses organes, où se tiennent les assemblés. Il s’agit donc du siège social réel et non du siège statutaire, critère plus proche de l’autonomie de la volonté et de l’incorporation. Il y a lieu de présumer toutefois, jusqu’à preuve du contraire que le siège statutaire correspond au siège réel de la personne morale.

Le critère du siège social ainsi compris exprime un lien effectif. C’est le critère le plus généralement retenu par les pays européens comme en droit positif français.

 

 

II- Détermination de la nationalité par le droit français

 

 

Envisageons la question du siège social (A) avant d’envisager celle de la nationalité (B).Le siège social

  • Notion de siège social

Si la société à son siège social en France, elle est soumise aux dispositions de la loi française ( article 1837 alinéa 1 du code civil).

Le siège social doit être indiqué dans les statuts (article 1835 du code civil et article 2 de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales).

Il est le centre de la vie juridique de la société, le lieu ou se réunissent les organes d’administration et de direction et où sont tenus et conservés les livres et documents officiels2.

  • La détermination du siège social

Le siège social est choisi librement par la société.

L’élément déterminant est le centre de la vie juridique, et non pas le lieu ou la société exerce matériellement son exploitation ( si l’élément intentionnel résulte des énonciations des statuts, au contraire l’élément matériel est plus difficile à découvrir).

Se pose le problème du siège fictif : les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la société si le siège réel est situé en un autre lieu (article 1837 alinéa 2 du code civil et article 3 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales).

  • Régime

La société doit être assignée en principe devant le tribunal du lieu de son siège social, sauf application de la jurisprudence dite des gares principales3 (confirmée par l’article 43 du NCPC).

Cependant certaines actions doivent en raison de leur importance, être toujours portées devant le tribunal dont relève le siège social. Il s’agit notamment des procédures de redressement judiciaires ( décret du 27 décembre 1985 article1) et des procédures d’injonction de payer (article 1406 du NCPC).

  • La nationalité

L’article 1837 détermine la loi applicable et non la nationalité au sens strict.

La jurisprudence applique comme critère principal le siège social tel qu’il figure dans les statuts[1]. Mais lorsque le siège statutaire est fictif, elle recherche où se trouve le véritable centre de décision ou le lieu de la directive effective. Il lui arrive aussi de prendre en considération, à titre subsidiaire, un critère tiré de la nationalité de ceux qui contrôlent la société[2].

Si le siège social est situé à l’étranger, la société est régie par la loi française. Toutefois, les lois d’ordre public s’appliquent de la même manière aux sociétés étrangères installées en France qu’aux sociétés françaises. Mais les sociétés étrangères jouissent des mêmes droits que les sociétés françaises sauf dispositions législatives contraires[3].

Les critères incidents

Le site, une fois rattaché à une loi nationale se verra appliquer cette loi. Toutefois, d’autres critères peuvent être retenus, notamment d’un point de vue fiscal, commercial ou encore juridictionnel.

 

A- Les critères fiscaux de rattachement

Il peut s’agir d’impôt sur les sociétés ou d’impôt sur les revenus. En tous les cas, le régime fiscal de droit commun est applicable, c’est-à-dire : est imposable en France l’entreprise exploitée et immatriculée en France ou imposée en France du fait d’une convention fiscale internationale.

Concernant l’exploitation en France, il faut, en droit commun, l’exercice habituel d’une activité en France dans le cadre d’un établissement stable et autonome. L’établissement stable est une installation matérielle possédant une certaine permanence et possédant un but économique qui génère un profit.

Il y a également exploitation en France lorsque les opérations sont réalisées par l’intermédiaire d’un représentant en France ou, lorsque les opérations forment un cycle commercial complet (achat pour revendre en France) sans même qu’il y ait un établissement ou un représentant situé en France.

Ces principes sont applicables aux activités marchandes en ligne mais la notion d’établissement stable est plus difficile à cerner et à définir.

Elle passe nécessairement par la différenciation entre serveur virtuel et serveur matériel.

Le serveur virtuel est une page Web sans autre attache que celle immatérielle qui la relie à son auteur. La page Web n’est pas reconnue comme un établissement stable et il n’y a donc pas d’imposition en France si l’auteur est implanté à l’étranger.Le serveur matériel est un site Web hébergé par un serveur distinct du producteur. Il s’agira de l’occupation d’un espace sur le disque d’un serveur.Localisé géographiquement par incorporation à un serveur matériel autonome, dans la réalisation d’une activité de nature commerciale, le site Web peut être qualifié d’établissement stable : si le site matériel est implanté en France, il y est imposable lorsque des revenus lui sont imputables. C’est ainsi que l’a désiré le ministre des Finances qui avait été interrogé par un parlementaire sur cette question en 1998. Cette position fut confirmée plus récemment par l’OCDE sous certaines conditions néanmoins.

B- Les critères de droit de la consommation

Une seconde incidence, en matière de rattachement, est en effet celle de la disparition de la dimension géographique du marché. Au sujet du commerce virtuel, on a pu parler de « zone de chalandise planétaire où les magasins deviennent virtuels et sans territoire propre » (Avis du Conseil national de la consommation du 9 décembre 1997). Le marché pertinent disparaît au profit d’un marché potentiellement global. Or la composante géographique combinée avec la délimitation du marché de produits permet la définition du marché en cause.

Ce problème de la loi applicable ne se pose, par définition, qu’en cas de contrat ou de situation internationale. En effet, le propre d’Internet est de mettre en relation, notamment commerciale, des utilisateurs du monde entier.

L’entreprise qui propose des biens ou des services sur Internet cherche à atteindre une clientèle internationale. Dans ce cadre se posera véritablement le problème de la loi applicable et donc, pour l’acheteur, la protection qu’il pourra obtenir.

1.    Les principes gouvernant les conflits de loi

Selon les principes du droit international privé français, la loi applicable à un contrat est déterminée par référence aux règles de conflit de loi. A défaut de convention internationale explicite, la jurisprudence a fixé quelques principes élémentaires en la matière.

Ces principes sont les suivants :

« Les parties peuvent déterminer dans leur contrat de façon claire la loi qu’elles entendent voir appliquer à leur contrat, dans ce cas cette loi sera appliquée par les juridictions compétentes ou par les juridictions désignées par les parties, c’est le principe de l’autonomie de la volonté.

A défaut d’indication du contrat sur ce point, il sera fait application de la loi avec laquelle le contrat en cause présente le plus de liens de rattachement. »

Ces critères permettant de rattacher un contrat à une loi sont notamment :

–       la nationalité des parties, mais le plus souvent sur Internet les nationalités seront différentes et ne pourront donc pas fournir un critère utile ;

–       le lieu de conclusion ou d’exécution du contrat. Le lieu de conclusion pose également problème en matière de contrat conclu en ligne. Le lieu de l’exécution sera donc le plus souvent retenu.

2.    Les traités internationaux en la matière

La Convention de Rome en date du 19 juin 1980 est applicable à tous les pays européens et à tous les contrats quel que soit leur objet. Elle reprend le principe de l’autonomie de la volonté des parties dans le choix de la loi applicable et à défaut prévoit que la loi applicable sera celle du lieu du domicile de la partie devant fournir la prestation caractéristique. Plus précisément, en matière d’offre de produits ou de services sur le Web, la loi applicable au contrat, à défaut de détermination différente, sera la loi du domicile du vendeur ou du prestataire de service.

Toutefois, l’article 5 de la Convention de Rome mentionne que les consommateurs ne sauraient être privés des protections particulières que leur accorderait leur législation nationale. Aussi, pour un acheteur en ligne de nationalité française, la loi française s’applique donc à défaut de choix des parties et à défaut de législation étrangère plus protectrice des intérêts des consommateurs[4].

En outre, la détermination d’une loi différente ne peut se faire que de façon très apparente pour le consommateur, c’est-à-dire que l’entreprise en ligne devra faire figurer sur son site une mention selon laquelle elle entend soumettre le contrat à conclure à une autre loi que celle de l’acheteur. Par ailleurs, cette loi choisie par le vendeur ne peut en aucun restreindre la protection due au consommateur, ni constituer une fraude à la loi, ni violer l’ordre public.

Dans la plupart des cas, lorsque l’acheteur est français, la loi applicable sera donc la loi française.

 

C- Les critères juridictionnels

 

 

  • Reconnaissance et exécution réciproque des décisions judiciaires entre les états membres

Il convient de se reporter à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Au titre de cette convention, une personne domiciliée dans un état membre est attraite, quelle que soit sa nationalité, devant les juridictions de cet état. Le vendeur, détenteur du site marchand, implanté dans un état membre sera donc responsable devant les juridictions de cet état.

La procédure de reconnaissance et d’exécution prévue dans la convention précitée s’applique à tout jugement rendu dans un état membre, quelle que soit la nature de la juridiction et quelle que soit la nationalité des parties, dans la limite des matières visées par la convention elle-même, à savoir : toutes les matières civiles et commerciales à l’exclusion de l’état et de la capacité des personnes, des régimes matrimoniaux, testaments et successions, des faillites, concordats et autres procédures analogues, de la sécurité sociale et enfin de l’arbitrage.

Les décisions rendues dans un état membre bénéficient dans les autres états signataires d’une reconnaissance de plein droit, c’est-à-dire que leurs bénéficiaires peuvent s’en prévaloir auprès de tout intéressé, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une autre procédure sauf en cas de reconnaissance.

La convention impose aux états membres une procédure d’exequatur rapide et non contradictoire sauf en cas de refus ou d’opposition de fond de la partie contre laquelle l’exécution est poursuivie.

Territorialement, la juridiction qui doit être saisie pour statuer sur la demande d’exequatur est celle du domicile de la partie contre laquelle l’exécution est demandée ou, à défaut, celle du lieu de l’exécution (en France le TGI).

Il faut produire une expédition authentique du jugement. Concernant une décision par défaut, il convient de produire l’original ou une copie certifiée conforme du document établissant que l’acte introductif d’instance a été signifié ou notifié à la partie défaillante.

Si l’exécution est autorisée, la décision doit être signifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée, qui dispose d’un délai d’un à deux mois selon le cas pour présenter un recours devant une juridiction supérieure. Ce recours a un effet suspensif.

Si la reconnaissance ou l’exécution est contraire à l’ordre public de l’état requis, l’exequatur peut être refusé. Il en va de même si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’état requis ou encore si l’acte introductif d’instance n’a pas été notifié ou signifié au défendeur.

 

  • L’exécution des décisions rendues dans un état non-membre

On peut se référer pour exemple à la décision récemment rendue contre Yahoo France et en tirer certains enseignements.

En effet, deux questions furent posées aux magistrats du siège :

–       Le juge français est-il compétent pour connaître des contenus de sites étrangers ?

–       Quelle décision prendre lorsque le contenu du site d’origine autorise une telle diffusion interdite dans le pays de réception ?

Selon une jurisprudence aujourd’hui dominante, dès lors qu’un site est accessible en France, le juge français est compétent. Mais le problème en réalité est celui de la loi applicable.

Dans l’affaire précitée, c’est bien au regard du droit français que la licéité du site a été appréciée. Cependant, la société Yahoo n’estime pas avoir été jugée par un juge géographiquement compétent. Le juge américain accepterait-il de prononcer l’exequatur de cette décision alors que son fondement est contraire à sa constitution (cf. l’amendement visé). Pour être appliquée dans un pays tiers, une décision de justice doit en effet passer par la procédure d’exequatur. Or, dans le cas présent, la décision s’oppose à la législation américaine.


1 S. BOULIN, Le siège social, Thèse Paris II, 1985

2 CA Paris, 30 janvier 1970, RTD Com. 1972, 493, note HOUIN

3 Cass. Civ. 2, 29 janvier 1992, Rev. Soc. 1992, 42, note CHARTIER

[1] Cass. Ass. Plen., 21 décembre 1990 : JCP 1991, II, 21640, note LEMORTEY

[2] Cass. Req., 12 mai 1931, D. 1936

[3] Cass. Com., 15 novembre 1994 : Bull. Civ. IV, n°335, p.275

[4] Article 5 de la Convention de Rome de 1980 : « Le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle. »