LE REFUS DE VENTE

LE REFUS DE VENTE

I. RAPPEL DES DISPOSITIONS LEGALES ANTERIEURES

L’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 prévoyait effectivement :

« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice en cause le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan … de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de services, lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu’elles sont faites de bonne foi et que le refus n’est pas justifié par les dispositions de l’article 10…« .

Par conséquent, sous réserve des conditions énoncées, ce principe de « refus de vente » a longtemps prévalu dans les relations contractuelles entre les professionnels et a régulièrement été appliqué par les tribunaux. C’est la raison pour laquelle nombre de professionnels imaginent encore que ce principe reste dominant dans les relations commerciales.

Néanmoins, cette position est désormais combattue dans les rapports entre professionnels (le refus de vente reste en vigueur à l’égard des rapports entre professionnels et consommateurs).

Cela est passé, en premier lieu, par la dépénalisation de la règle. En effet, il n’était plus attaché de sanction pénale, mais la responsabilité civile du professionnel pouvait encore être recherchée par le professionnel « évincé ».

En second lieu, le principe de la libéralisation des échanges contractuels a été consacré.

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II. LES DISPOSITIONS LEGALES DESORMAIS APPLICABLES

1. Le principe de la liberté du refus de vente

La loi du 1er juillet 1996 a aboli les prescriptions légales énoncées ci-dessus.

Désormais, le principe est celui de la liberté du refus de vente : quelle que soit la nature du contrat, le refus de vente ne constitue plus une faute civile et/ou commerciale. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens (Cass. Com. 29 janv. 1999) et a confirmé, dès lors, le principe énoncé par le législateur. A cet égard, le choix du professionnel, qui refuse de vendre à un autre professionnel, est discrétionnaire.

Toute entreprise est ainsi en droit de refuser de vendre ses produits ou de fournir ses services à une entreprise qui lui aurait passé commande.

Au stade de la formation du contrat, le fournisseur retrouve la liberté de modifier et de choisir son partenaire commercial qui est l’émanation de la liberté de contracter ou de ne pas contracter. La règle a été érigée plus récemment par le Tribunal de commerce de Paris (T. com. Paris, 10 mai 2000).

2. Les dérogations au principe de la liberté du refus de vente

Comme toute règle, celle-ci a des tempéraments et des exceptions.

Outre l’exclusion de ce principe au profit des consommateurs personnes physiques, la pratique s’est reportée sur d’autres qualifications qui peuvent être source de responsabilité du professionnel qui refuse de vendre :

–          le refus fautif : si le professionnel est libre de choisir son cocontractant, il ne doit pas causer de préjudice à l’encontre du professionnel évincé. Cette disposition est appréciée au regard des pratiques anticoncurrentielles. Pour engager la responsabilité de l’entreprise qui a refusé de s’exécuter, les tribunaux ont rappelé à plusieurs reprises que celui qui invoque son éviction doit rapporter la preuve de son préjudice. Il a ainsi été jugé que « l’intention de nuire est caractérisée par sa mauvaise volonté d’exécution, le dommage direct et certain qui en est résulté doit être indemnisé sur le fondement du délit civil de droit commun. » (Cour d’Appel de Douai, 10 sept. 1998). Appuyé sur la responsabilité de droit commun, les tribunaux hésitent donc à condamner les entreprises refusant de contracter.

–          les pratiques discriminatoires : si le refus de vendre est une décision discrétionnaire, il peut être source de responsabilité de son auteur s’il présente un caractère discriminatoire. Ce fondement est également à rapprocher du principe de la libre concurrence. Les juridictions, en pareille matière, retiennent la théorie de l’abus de position dominante de l’entreprise qui oppose son refus, dès lors que le jeu de la concurrence peut être affecté sur le marché (article L. 420-2 du Code de commerce[1]).

–          La rupture brutale des relations commerciales : l’article L 442-6 du Code de commerce[2] a introduit cette disposition par la loi NRE du 15 mai 2001. Il produit désormais un contentieux abondant devant les juridictions. En effet, si le refus de vente n’est pas expressément visé, en amont le professionnel reste libre de choisir son cocontractant, il ne pourra s’en délier facilement une fois de contrat conclu. En cas de relations commerciales antérieures, la cour d’appel en déduit souverainement la durée du préavis (Cass. Com. 6 juin 2001).


[1] Article L 420-2 du Code de commerce : « Est prohibée, (…) l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en condition de vente discriminatoire ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. »

[2] Article L 442-6, I, 5° du Code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

5°) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque distributeur. »